Epris de justice, d’une droiture exemplaire, Claude répondait à l’image du parfait honnête homme, de celui que l’on s’honorait de compter pour ami. J’eus cette chance d’appartenir au cercle de ses amis proches, de travailler à ses côtés pendant une dizaine d‘années, dans un environnement professionnel qui se dégradait ostensiblement semaine après semaine.
Exercer des fonctions d’encadrement, avec une minimale sérénité dans une brigade de tri postal, requiert, au sein de l’équipe, un esprit de solidarité, une camaraderie indéfectible, pour affronter sans dommage une hiérarchie sournoise et aussi contenir les emportements d’un personnel d’exécution souvent dissipé.
Cette exigence était satisfaite avec Claude qui, par sa constante bonne humeur et son opiniâtre foi en l’humain fortifiait la cohésion de l’équipe tout entière.
Sa longue expérience du milieu postal lui permettait de porter des jugements distanciés, de nourrir les analyses appropriées sur des notes de service aberrantes, sur des règlements intérieurs foisonnants, dont l’incohérence nuisait à la bonne marche du service.
C’est avec une lucidité désabusée qu’il accueillait les transformations incessantes qui mutilaient nos conditions de vie et de travail. Sa défense persévérante de notre administration régalienne, à travers des engagements syndicaux réfléchis et des actions de terrain ciblées, n’aura jamais été prise en défaut. Les sottises distillées par une direction autiste dans des organes internes de propagande, n’auront jamais eu la moindre emprise sur lui.
Cette fidélité à des convictions et à des principes aura favorablement influencé les jeunes cadres, dans leur perception d’un univers professionnel complexe et volontairement rendu instable. Car Claude demeure, à mes yeux, la personnification d’un service public rigoureux et performant, l’expression achevée d’une poste glorieuse que de nombreux pays nous ont enviée, cherchant souvent à s’inspirer de ce modèle.
Je sais bien qu’il n’en reste rien aujourd’hui, le rouleau compresseur d’une réforme scélérate ayant saccagé, au nom d’une dérisoire rentabilité financière hélas triomphante dans toutes les administrations, le bel édifice que notre cher Claude, nuit après nuit, s’est longtemps appliqué à consolider.
Notre amitié a perduré, dans les années qui ont suivi sa cessation d’activité. Nous nous sommes retrouvés, assez souvent, pour prendre un verre, pour partager le pain, évoquer des souvenirs qui ne s’effacent et que la mémoire conserve pieusement.
Comment pourrais-je, en particulier, oublier la présence de Claude à ma première compétition de culturisme, dans un théâtre parisien dont les 500 places étaient toutes occupées par un public chauffé à blanc, mais où la voix de stentor de Claude, reconnaissable entre toutes, s’élevait au-dessus du vacarme, m’encourageant, scandant mon prénom, quand j’occupais la scène pour y produire ma musculeuse démonstration.
Je savais que Claude était affaibli depuis la lourde opération qu’il avait subie, il y a quelques années. Mais je le tenais pour indestructible, et ne pouvais concevoir qu’il nous quitte maintenant.
Sa disparition me cause une peine profonde. Qu’en récompense de ses grands mérites, daigne le Tout-Puissant l’accueillir en son royaume.